Interview de
Grégory Labille

Député

Crédit photo : Grégory Labille

“NON, MONSIEUR LE MINISTRE,
L’ÉCOLE N’EST PAS BONNE POUR TOUS LES ENFANTS”

UN LIVRE SUR L’ÉCOLE À LA MAISON

Grégory Labille est député depuis le 8 octobre 2020 (soit 6 jours après le discours des Mureaux !). Un an après, il a publié un livre intitulé “Non, Monsieur le Ministre, l’école n’est pas bonne pour tous les enfants : Témoignage d’un enseignant devenu député”. Ce livre fait suite à une année de mobilisation au sein de l’Assemblée nationale durant laquelle il s’est engagé en faveur de l’instruction en famille.

Après l’interview d’une réalisatrice par une enfant en IEF au printemps dernier, rebelote… On a laissé les rênes à une autre jeune IEFeuse. Cette fois-ci, c’est à Anouk qu’est revenue la tâche de s’entretenir avec le député G. Labille. Anouk a 17 ans, fait partie du collectif des Lucioles de la liberté et a – rien que ça – signé la préface de ce livre écrit par monsieur Labille !

Le livre

Livre disponible sur

Amazon

Les bénéfices de ce livre sont reversés au profit de l’association “À pas de Lou”. Louane est une petite fille de 13 ans, atteinte d’une maladie génétique très rare appelée SATB2.

TÉMOIGNAGE D’UN ENSEIGNANT DEVENU DÉPUTÉ

Anouk : Comment un ancien professeur et directeur d’école en vient-il à défendre l’instruction en famille ?

Ce jour-là, j’ai découvert l’instruction en famille. Car je ne savais pas que ça existait.

Grégory Labille : Je suis professeur depuis 1993 et lorsque je suis arrivé à mon premier poste en Zone d’Éducation Prioritaire, j’avais comme seul bagage un brevet d’État d’infirmier. Je n’avais donc pas d’expérience dans l’éducation, hormis les souvenirs que j’avais de ce qu’était l’école. Et pour moi, c’était des élèves sagement assis ; on leur demandait d’ouvrir un livre et ça se faisait tout simplement. Or, cela ne s’est pas passé comme ça.

Ainsi, j’ai appris le métier directement avec mes élèves, sur le tas. J’ai fait un grand travail de recherche en pédagogie et j’ai observé certains de mes collègues dans leur classe. Cependant, pour 5 à 10 % des enfants, je ne trouvais pas de solution.

En 2001, je deviens adjoint à l’éducation dans une commune de 5 000 habitants. Un jour, le maire reçoit un courrier d’une famille qui déclare vouloir faire l’instruction en famille. En tant qu’adjoint à l’éducation, je rencontre alors une famille dont le papa est médecin, la maman infirmière anesthésiste et ils ont trois enfants. Je constate que tout est propice à apprendre : la maison est très vaste, avec des bouquins partout, des bibliothèques et, surtout, les enfants sont heureux. Je fais mon rapport comme quoi tout se passe bien. Ce jour-là, j’ai découvert l’instruction en famille. Car je ne savais pas que ça existait. Et puis, comme je suis séduit et assez curieux, je suis invité par la maman à participer à des mercredis après-midi où je rencontre d’autres familles qui font l’instruction en famille. C’est comme ça que ça a commencé.

L’enseignant que j’étais commence à comprendre pourquoi, pour certains des enfants, ça ne fonctionnait pas. En fait, c’est parce que l’école n’est pas faite pour eux.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ? Combien de temps ça vous a pris pour l’écrire ?

Le 2 octobre 2020, j’ai été très touché par la déclaration du président de la République, Emmanuel Macron, quand il a annoncé que tous les enfants devaient retourner à l’école. J’ai été très touché parce que je suis très attaché au sujet de l’éducation de la famille et j’avais le souvenir de tous ces enfants que j’avais côtoyés, pour qui l’école n’était pas forcément une solution. J’ai pensé que c’était un vrai sujet de société et une atteinte des libertés : j’allais devoir beaucoup m’y engager car on ne pouvait pas rester sans un témoignage.

On a recueilli des témoignages et on a multiplié les visioconférences. On sait qu’au moment de l’été, on est un petit peu moins sous pression et qu’on a moins de travail dans l’hémicycle. On a commencé à écrire, avec mon collaborateur Louis. Une de nos intentions était d’expliquer le parcours d’une loi, les amendements, le passage de la navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat et aussi la commission mixte paritaire. Dans ce livre-là, on arrive à suivre le cheminement d’une loi. 

Puis j’ai commencé à écrire personnellement puisque le début du livre, c’est beaucoup de témoignages de mon parcours personnel.

Mon objectif était qu’il puisse être édité pour le 25 septembre, car je m’étais engagé auprès d’Anouk à faire visiter l’Assemblée nationale à cette date. J’ai dû changer mes plans : passer par une maison d’édition m’aurait pris six mois supplémentaires. J’ai donc choisi d’éditer le livre avec Amazon et en dix jours, les livres étaient imprimés.

Monsieur Labille entouré d’enfants en instruction en famille lors de la visite de l’Assemblée nationale le 25 septembre 2021.

Après l’écriture du livre, vous avez commencé une sorte de Tour de France pour dédicacer votre livre. Quelles sont vos attentes ?

Je n’ai pas un intérêt personnel, ni d’ailleurs un intérêt financier, puisque l’ensemble de la vente du livre est pour une association : “À pas de Lou”.

Mais c’est juste que, pour moi, le combat n’est pas terminé et que j’ai découvert, à travers ce projet de loi, que beaucoup de députés ne connaissaient pas l’instruction en famille. Mais j’ai découvert aussi, depuis le début de l’écriture de ce livre, que des collègues enseignants et des familles ne connaissaient pas l’IEF. Je pense que maintenant, il faut peut-être sensibiliser aux problèmes et, au-delà de l’instruction en famille, interpeller les familles.

J’ai découvert, à travers ce projet de loi, que beaucoup de députés ne connaissaient pas l’instruction en famille.

Et il y a beaucoup de témoignages d’ailleurs dans le livre. Du vécu, même personnel. Il y a beaucoup de familles dont les enfants rencontrent des difficultés à l’école et bien sûr, tout le monde ne peut pas pratiquer l’instruction en famille. Mais ce livre, c’est aussi pour que les parents soient un peu plus vigilants sur les signes de souffrance de leurs enfants et que peut-être, là, on a un projet de loi qui arrive dans l’hémicycle sur le harcèlement scolaire. Donc, je vais beaucoup m’engager sur ce combat.

Donc, moi, mon idée, c’est pour éveiller les consciences sur la problématique de la souffrance de l’enfant, au-delà de l’instruction en famille. Parce qu’en effet, l’IEF peut être une solution. On retire l’enfant, parfois provisoirement, de l’école. Ceux qui font le choix de l’instruction en famille, c’est un choix de vie. Moi, je ne l’ai pas fait. Avec du recul, si j’avais une deuxième vie, peut-être que je ferais l’instruction en famille avec mes propres enfants. Mais après, on a aussi des carrières professionnelles et des impératifs qui peuvent nous y empêcher.

Ceux qui font le choix de l’instruction en famille, c’est un choix de vie.

 À 16 ans, vous avez créé une association. D’où vient cette envie de s’engager ?

Ça vient de mes parents, notamment de ma maman, qui n’est plus là aujourd’hui, mais qui, dans son parcours, dans sa vie, a toujours fait beaucoup pour les autres. Que ce soit dans le milieu associatif ou religieux. Et moi, je vis dans un petit village de 300 habitants. Il ne se passait rien pour les jeunes. J’avais donc décidé de créer une association pour réaliser des actions pour tout le monde. Et je pense qu’on a ça dans nos gènes, dans notre famille. Et ça continue.

Avez-vous des projets pour un nouveau livre ?

Alors oui, j’ai un autre projet de livre, lié au faible taux de participation aux dernières élections, (présidentielles, municipales, départementales et régionales). Mon sujet, c’est le désamour du citoyen vis-à-vis du politique. Pourquoi aujourd’hui, on ne s’y intéresse plus ?

Vous faites, avec ce livre et d’autres initiatives, un lien avec le terrain. C’est plutôt rare pour les autres députés je trouve…

Je considère que pour le rôle de député, il faut trouver l’équilibre entre notre présence à Paris pour légiférer et notre présence sur le terrain pour ne pas être complètement déconnecté de ce qu’il s’y passe.

Quand on interroge les habitants d’une circonscription sur “quel est votre député ?”, 80 % des gens ne le savent pas. Ensuite, parmi ceux qui le savent, très peu savent quelle est la dernière loi que leur député a votée.

Questions posées par le collectif les Lucioles de la Liberté

Pour cette interview, Anouk a fait un sondage dans le groupe des Lucioles de La Liberté pour savoir si des petites lucioles avaient des questions à poser au député Labille.

Est-ce que vous vous arrivez à croire encore en une république juste ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour se sentir concerné quand on entend tous ces députés légiférer sur nos vies de cette façon ?

La démocratie, c’est le respect des votes et majoritairement les députés ont voté pour ce projet de loi. J’ai espéré à un moment donné que le Conseil constitutionnel pourrait le remettre en cause puisqu’en effet, c’est une liberté fondamentale qui date des lois de Jules Ferry de 1882. Sincèrement, j’étais très optimiste et je pensais que ça allait être retoqué. Ça n’a pas été le cas. Maintenant, si le projet de loi a été confirmé par le vote, il faut le respecter. Mais pour autant, il faut être très vigilant. Parce qu’à travers cette loi, ce que j’entends des retours que j’ai aujourd’hui, c’est qu’il y a certains inspecteurs plus “durs” que la loi. Et j’entends parler d’un décret qui est sur le point de sortir, notamment sur l’obligation d’être titulaire d’un baccalauréat pour faire de l’instruction en famille. Alors je suis surpris parce que cela n’a jamais été évoqué auparavant. Et je ne voudrais pas, à travers l’application de la loi, qu’on soit plus dure que la loi elle-même. Donc moi, je continue à être vigilant et certains parents m’envoient encore des témoignages.

Est-ce que le fait que les rapports de la DGESCO soient sortis va pouvoir avoir un changement sur cette loi ?

J’avais interpellé le ministre par rapport à ces rapports qui n’étaient pas sortis malgré nos demandes. Ils ne sont sortis que début septembre au moment de la rentrée. Pour autant, je n’ai pas été satisfait de la réponse du ministre de l’Éducation nationale, même si je ne m’attendais pas à une autre réponse de la part d’un ministre.

Un mouvement s’est créé avec les familles depuis octobre 2020. Est-ce qu’il y a une chose qui vous a marqué ? Qu’avez-vous appris ?

Si on était restés à la déclaration du président de la République, tous les enfants auraient dû retourner à l’école à la rentrée de septembre 2021. Tous les enfants auraient dû rentrer, hormis les enfants pour des raisons de santé. Or, les débats qui ont lieu à la fois à l’Assemblée nationale ont permis de faire évoluer les choses et d’ajouter quatre critères pour permettre à des familles de pratiquer l’instruction en famille et de continuer, même si on peut être déçu de passer dans un régime d’autorisation. Ça peut laisser entendre que parfois, la décision est dans les mains d’un seul homme. Mais on sera vigilants à la rentrée de septembre 2022, sauf pour les familles qui ont pratiqué l’instruction en famille, qui ont encore un délai jusqu’à 2024. Mais pour les autres qui voudraient pratiquer l’instruction en famille, on doit être vigilant sur ce qui se passera en 2022 et j’imagine même qu’il y aura des recours avec des avocats. Et ça, c’est quelque chose que j’appréhende assez mal. Des familles qui puissent faire appel à un avocat pour solliciter un choix personnel dans l’instruction de leurs enfants, c’est quelque chose qui est difficilement imaginable. Mais à mon avis, ça risque de se produire.

Ce que je dis souvent, c’est que ce qu’une loi fait, une loi peut le défaire.

Ce que je retiens, c’est qu’il faut se battre parce qu’il y a des choses qui peuvent changer un petit peu. Et je dis aussi que le combat que je continue à mener, c’est pour sensibiliser. Il y a un gros travail qui est fait par les associations IEF depuis des années en France et heureusement qu’elles sont là. D’ailleurs, elles sont un grand soutien à la fois pour les familles, mais aussi pour les élus. Enfin, ce que je dis souvent, c’est que ce qu’une loi fait, une loi peut le défaire. On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, mais il faut rester mobilisés.

Quelle sera votre prochaine action en faveur de l’instruction en famille ? Que pouvons-nous faire : rester mobilisés ou attendre de voir ce qui se passe ?

Certains ont mené un combat dans l’hémicycle sur la durée de la loi. Moi, je le mène encore aujourd’hui parce que je veux sensibiliser les consciences au sujet. Après, il n’y a pas que l’instruction en famille pour un député. Il y a beaucoup d’autres travaux sur lesquels on est amenés à se positionner. Mais moi, je reste mobilisé sur le sujet à travers ma rencontre avec les familles, c’est dire que le combat n’est pas terminé.

Une dernière question, rigolote : “Si vous aviez une baguette magique… que feriez-vous pour améliorer aujourd’hui la place de l’IEF en France ?”

C’est bien une question d’enfant (sourire). Je ne suis pas le père Noël et je ne suis pas magicien. Mais si je pouvais, je reviendrais à la situation initiale et empêcherais la déclaration du président de la République début octobre 2020.

Je souhaite ajouter que je suis ravi d’avoir participé à ce petit échange avec un groupe qui, à son niveau, est mobilisé et j’aimerais bien savoir les retours que tu as eus par rapport au livre, le fait que tu aies fait la préface. De mon côté, j’ai des retours de gens qui me disent : “À 17 ans, elle en a des choses à dire”.

Je suis ravie de voir ma parole encore une fois écoutée et respectée. L’opportunité que vous m’avez offerte avec la rédaction de cette préface m’a permis de clarifier mes pensées tout au long de l’écriture et de mettre au propre mon témoignage. M’exprimer de cette façon sur un sujet qui me tient autant à cœur m’a demandé beaucoup d’application et j’ai adoré relever le défi.

J’espère que la parole des jeunes pourra petit à petit prendre plus de place sur les sujets qui les concernent et que nous verrons plus souvent la préface d’un livre signée par une jeune de 17 ans !

Je voulais dire que M. Blanquer ne m’a pas encore répondu, il m’avait dit qu’il le lirait, je ne sais pas s’il a pris le temps de le lire. Mais en tout cas, il ne m’a pas répondu.

Suite et fin de l’interview dans la vidéo ci-dessous

Un dernier mot du député Labille

Merci à Grégory Labille d’avoir écrit ce livre et d’avoir répondu aux questions de notre journaliste !

Bonne lecture à toutes et à tous !

N’hésitez pas à en parler autour de vous, aux familles en IEF… ou non !

Aller au contenu principal